En matière de rapports individuels de travail, c’est-à-dire en milieu de travail non-syndiqué, quels sont les droits et obligations d’un l’employeur face à un employé contre qui des accusations criminelles sont portées ou contre qui des plaintes de clients/usagers sont dirigées ?
Un employeur peut imposer à un employé une suspension administrative afin d’enquêter sur une conduite reprochée à ce dernier lorsque le fait de le laisser travailler compromet les intérêts légitimes de l’entreprise. Tel qu’indiqué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cabiakman[1], ce pouvoir découle directement des droits de gestion de l’employeur, qui détient les pouvoirs nécessaires pour gérer et protéger les intérêts de son entreprise.
Le plus haut tribunal du pays reconnaît dans cet arrêt que bien que l’article 2094 du Code civil du Québec ne prévoit pas la possibilité de suspendre le contrat de travail, il est possible de le faire lorsque les quatre (4) conditions suivantes sont remplies :
La suspension doit viser la protection des intérêts légitimes de l’employeur ;
La bonne foi et le devoir d’agir équitablement doivent guider l’employeur dans sa décision ;
L’interruption provisoire de la prestation de l’employé doit être prévue pour une durée relativement courte, déterminée ou déterminable ;
Sous réserve de cas exceptionnels, la suspension est en principe imposée avec solde.
Sur ce quatrième point, la Cour rappelle que le contrat de travail impliquant qu’une personne exécute une prestation de travail moyennant rémunération sous le contrôle et la direction de l’employeur, ce dernier ne peut se dégager unilatéralement de son obligation de payer le salaire lorsqu’il prive l’employé d’exécuter sa prestation de travail.
Dans un arrêt subséquent[2], elle rappelle qu’une telle suspension administrative doit être prise de bonne foi, être justifiée par un intérêt organisationnel légitime et être d’une durée qui aura le moins de conséquences possibles sur l’employé. À défaut de respecter ces conditions et même si la suspension est avec solde, l’employeur pourrait se rendre coupable d’un congédiement déguisé.
Ainsi, il ressort qu’en l’absence de stipulation expresse au contrat de travail prévoyant que l’employeur peut suspendre un employé sans solde, une telle suspension doit se faire avec solde.
[1] Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55.
[2] Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau-Brunswick, 2015 CSC 10.